Les sanctions attachées au non-respect par l’architecte, de son obligation de déclarer à son assureur tout chantier confié en cours d’année
Observations sur les arrêts rendus par la Cour de cassation le 5 mars 2020 (Cass. Civ. 3ème 18-26.801, Cass. Civ. 3ème 1er oct. 2020, n° 19-18165, PB et Cass. Civ. 3ème 1er oct. 2020, n° 18-20809, PB
Rédigé le 09/11/2020
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Lors de la souscription ou du renouvellement de son contrat d’assurance, l’architecte n’est pas nécessairement en mesure de fournir à son assureur un prévisionnel définitif des chantiers ou des missions qui vont lui être confiés au cours de l’année à venir.
Cette incertitude s’accorde mal avec la nécessité qu’ont les assureurs d’évaluer le risque qu’ils s’apprêtent à couvrir.
C’est pourquoi certaines compagnies ont imaginé faire de la déclaration de chaque chantier/mission, une condition autonome de sa garantie.
Lorsque de telles mesures sont stipulées, la question se pose de déterminer la sanction attachée au non-respect, par l’architecte, de son obligation de déclaration : nullité ? non garantie ? Application d’une réduction proportionnelle ?
La Cour de cassation a rendu en 2020 plusieurs arrêts sur le sujet.
La plupart des dispositions contractuelles dont l’examen a été porté devant les juridictions s’articulent en deux temps :
- Une première clause oblige l’architecte assuré à déclarer à son assureur l’ensemble des missions constituant son activité professionnelle (éléments principaux de l’opération, montant des travaux et des honoraires), avec la précision que « la déclaration de chaque mission constitue une déclaration de garantie pour chaque mission ».
- Une seconde situation énonce que toute omission ou déclaration inexacte entraine, non pas la nullité de l’assurance, mais l’application d’une « réduction proportionnelle » et qu’en cas d’absence de déclaration, cette réduction équivaudrait à une absence de garantie[1].
L’instauration d’une telle non-garantie par le truchement d’une réduction proportionnelle ne tombe pas sous le sens.
En effet :
- En appliquant strictement la définition donnée à l’article L.113-9 du Code des assurances, la sanction à apporter à l’absence de déclaration d’un chantier consiste à appliquer une réduction proportionnelle, calculée par référence à l’ensemble des missions confiées à l’architecte sur l’année au cours de laquelle la mission non déclarée a été confiée.
- Or les dispositions contractuelles issue des polices d’assurances précitées aboutissent à calculer la réduction proportionnelle par rapport au seul chantier dont la déclaration a été omise, ce qui aboutit à une réduction de 100%, soit une absence de garantie.
La question se posait donc de savoir si les parties pouvaient s’écarter de l’application stricte de l’article L.113-9 du Code des assurances, pour adopter une position plus restrictive pour les assurés.
La Cour de cassation, qui avait pendant un certain temps jugé le contraire, valide les clauses qui sanctionnent l’absence de déclaration d’un chantier par une non garantie.
Cette position résulte notamment d’un arrêt du 27 juin 2019 (Cass. Civ. 3ème n°17-28.872) qui énonce que « la réduction proportionnelle équivalait à une absence de garantie, selon une disposition, qui était conforme à la règle posée par l‘article L. 113-9 du code des assurances et qui ne constituait ni une exclusion ni une déchéance de garantie »
Cette solution a été réitérée par la Cour de cassation à l’occasion de plusieurs arrêts rendus en 2020 :
- Dans un arrêt du 5 mars 2020 (Cass. Civ. 3ème 5 mars 2020, n°18-26801), la Cour de cassation a jugé, par application de l’article 1134 ancien du Code civil, que l’assureur est en droit, non seulement de refuser sa garantie, mais également d’opposer ce refus aux tiers : cela signifie que le maître de l’ouvrage, pourtant étranger au contrat d’assurance, va subir une non garantie du fait de l’absence de déclaration de sinistre par l’architecte à son assureur
- Cass. Civ. 3ème 1er oct. 2020, n° 18-20809, PB : la solution est réitérée avec le rappel que l’absence d’assurance peut être opposée au tiers lésé : « En l’état d’un contrat d’assurance de responsabilité professionnelle d’architecte soumettant la garantie de l’assureur à la déclaration préalable de chaque mission, l’omission de déclaration équivaut à une absence d’assurance, opposable au tiers lésé ».
- Cass 1er octobre 2020 n°19-18.165 : même solution : Lorsque, dans un contrat d’assurance de responsabilité professionnelle d’un architecte ne relevant pas de l’assurance obligatoire, une clause fait de la déclaration de chaque chantier une condition de la garantie, cette clause doit recevoir application, de sorte que l’absence de déclaration d’un chantier entraîne une non-assurance. Cette clause est, en outre, opposable à la victime, le droit de celle-ci contre l’assureur puisant sa source et trouvant sa mesure dans le contrat d’assurance.
Cet arrêt évoque les responsabilités « ne relevant pas de l’assurance obligatoire » qui peut laisser entendre que la garantie de la responsabilité civile décennale échapperait à ce régime.
Outre les critiques que ces solutions peuvent engendrer au regard du texte de l’article L. 113-9 du Code des assurances, qui se voit écarté au profit de dispositions contractuelles malgré son caractère d’ordre public, elles peuvent poser une difficulté à l’égard du maître de l’ouvrage.
Certes, l’opposabilité aux tiers d’une position de non garantie adoptée par l’assureur n’est pas critiquable en soi, car il ne saurait être question d’imposer à l’assureur d’aller au-delà de ce à quoi il s’est engagé (l’opposabilité des exceptions aux tiers, elle, résulte expressément de l’article 112-6 du Code des assurances).
Pour autant, lorsque le maître de l’ouvrage recourt aux services d’un architecte et qu’il sollicite à cette occasion la production d’une attestation d’assurance, ce document ne mentionne pratiquement jamais que la garantie de l’assureur pour ce chantier est conditionnée à sa déclaration préalable par l’architecte.
Cela revient à faire peser sur le maitre de l’ouvrage les conséquences d’un défaut de diligence de la part de son architecte, sur lequel il n’a guère de prise.
La Cour de cassation a pris la mesure de cette difficulté : dans son arrêt Cass 1er octobre 2020 n°19-18.165 elle retient que l’assureur commet une faute de nature à engager sa responsabilité civile lorsqu’il délivre une attestation d’assurance avant que la déclaration de chantier qui conditionne la garantie n’ait été effectuée.
Cette précision, qui s’inscrit dans le fil d’une jurisprudence qui sanctionne les assureurs lorsque le libellé de leurs attestations est susceptible d’induire les tiers en erreur, est louable car protectrice des intérêts des maitres de l’ouvrage.
Néanmoins, elle n’apporte qu’une satisfaction partielle à ces derniers qui devront malgré tout exercer un recours contre l’assureur sur le terrain de sa responsabilité pour faute.
[1] La « réduction proportionnelle » à laquelle il est fait référence, est une sanction prévue à l’article L.113-9 du Code de assurances, donnant droit à l’assureur de réduire l’indemnité « en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés »
Sur la notion de marché privé de travaux forfaitaire et l’indemnisation de travaux supplémentaires : un marché peut-il être forfaitaire pour une partie seulement des travaux convenus ?
Observation sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 juin 2020 (Civ 3ème 25 juin 2020, F S-D, n°19-11.412).
Rédigé le 25/08/2020
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L’indemnisation des travaux supplémentaires réalisés dans le cadre d’un marché à forfait donne lieu à un abondant contentieux.
Le schéma (simplifié) est le suivant : l’entreprise estime avoir été contrainte de réaliser des travaux non prévus ou non prévisibles au stade de la passation du marché, dont elle demande le paiement, tandis que le maître de l’ouvrage estime que ces prestations sont incluses dans le forfait et dues par l’entreprise, sans indemnisation supplémentaire.
Bien souvent, c’est au stade de l’établissement des décomptes généraux et définitifs que la question se pose.
En la matière, la Cour de cassation est très protectrice des intérêts du maître de l’ouvrage.
Dans un arrêt du 18 avril 2019, la Haute Cour a eu l’occasion de rappeler qu’« en cas de marché à forfait, les travaux supplémentaires relèvent du forfait s’ils sont nécessaires à la réalisation de l’ouvrage » (Cass. Civ. 3ème, n°18-18.801).
En d’autres termes, l’entreprise qui s’engage pour un prix global et forfaitaire doit supporter le cout des travaux supplémentaires nécessaires à la bonne exécution du marché.
La Cour de cassation impose à l’entreprise un devoir de vigilance accru au stade de la rédaction de ses marchés, puisque cette dernière ne peut se prévaloir d’omissions ou d’imprécisions dans la consistance des travaux à réaliser ni de lacunes dans les pièces écrites remises (v. Cass. Civ. 3ème 19 mai 2009, n°08-14.107).
La sévérité du principe conduit même à laisser à la charge de l’entreprise le cout de prestations lourdes dont la nécessité n’est apparue qu’après démolition d’une dalle en béton (Cass. Civ. 3ème, 18 avril 2019, n°18-18.801, précié).
Face à cette rigidité, quelles sont les possibilités pour l’entreprise de s’extraire du marché à forfait ?
Elles sont en réalité limitées et très difficiles à mettre en œuvre :
- Les travaux supplémentaires seront indemnisés s’ils résultent d’une demande et /ou d’une acceptation (expresse ou tacite, mais dans ce cas non équivoque) du maître de l’ouvrage. La difficulté pour l’entreprise est bien évidemment de conserver la trace des demandes qui pourraient lui être faites sur le chantier ;
- Les travaux supplémentaires peuvent également donner lieu à indemnisation lorsque leur exécution conduit à bouleverser l’économie du contrat, cette notion étant toutefois entendue de manière très restrictive par la Cour de cassation.
L’arrêt rendu le 25 juin 2020 présente un éclairage intéressant en ce qu’il retient une solution intermédiaire, sachant que dans cette espèce, aucune des deux possibilités de « sortie du forfait » n’était envisageable.
A la lecture de l’arrêt, nous apprenons que pour une partie des prestations, le devis n’était pas spécialement détaillé, qu’il renvoyait pour certains lots à des prévisions ou à des travaux à définir ultérieurement, que le marché ne prévoyait qu’un estimatif pour les travaux d’électricité, qu’il ne fixait aucun budget pour les placards, qu’il accordait au maître de l’ouvrage le choix de certains matériaux et qu’il laissait subsister des aléas susceptibles d’influer sur la nature et le volume du descriptif arrêté pour le second œuvre et le lot peinture et enduits.
Sur la base de ces constats, la Cour d’appel avait considéré que ce marché ne pouvait être qualifié de forfaitaire, ce qui avait pour conséquence directe de permettre à l’entrepreneur d’être payé de l’ensemble des travaux réalisés.
La Cour de cassation a censuré l’arrêt au motif « qu’un marché peut être forfaitaire pour une partie seulement des travaux convenus »
Cette motivation autorise une lecture concrète du marché, poste par poste, et non unitaire pour l’ensemble du contrat.
Le locateur d’ouvrage peut donc y voir un intérêt certain puisque lorsque les travaux réalisés correspondent à un lot insuffisamment défini, l’entreprise pourra en exiger le paiement, à condition toutefois qu’elle puisse prouver que le maître de l’ouvrage les ait acceptés.